Permutation et désignation des Bourgmestres : Violation intentionnelle ou ignorance délibérée de la “disposition transitoire”
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Gentiny Ngobila, gouverneur de Kinshasa a procédé le 20 aout aux nominations et permutations « à titre provisoire » des bourgmestres et bourgmestres adjoints de la ville de Kinshasa. Après la circulation d’un premier arrêté largement critiqué et d’un démenti tout aussi critiqué, le dernier document a été lu sur les antennes de la télévision nationale. Les réactions continuent de tomber. ACTUALITE.CD vous propose la tribune du Professeur Christian-Jr Kabange de la Faculté de droit de l’Université de Kinshasa.
Un palliatif pour assurer le fonctionnement “dynamique” des entités territoriales décentralisées en attendant l’organisation des élections peut paraître à certains égards comme un acte de bravoure. Cependant, cette dernière initiative devient suicidaire lorsqu’on s’engage sur la voie de l’utopie en choisissant d’outrepasser les règles de compétence. La permutation et la désignation des bourgmestres par le Gouverneur de la ville province de Kinshasa à la suite d’un arrêté, dont la forme a varié entre un faux et un vrai, s’inscrit dans le lot de ces actes administratifs entachés d’irrégularité qui laissent transparaître une carence flagrante dans le fonctionnement des services juridiques attachés à certaines institutions de l’Etat.
Dans son arrêté N SC/241 du 20Août 2019, le Gouverneur de la ville de Kinshasa s’appuie sur une panoplie de dispositions juridiques inutiles autant que sur des considérations de nécessité peu évidentes pour tenter de s’affranchir de cette forfaiture. Point n’est besoin de tirer la discussion en longueur, quelques notions élémentaires suffiraient à démontrer le caractère illégal de cet arrêté.
Avant tout, il faut retenir que la règle d’or en droit administratif est que la compétence est d’attribution. Elle tire sa source d’un acte-règle qui peut être soit la Constitution, la loi ou les règlements. Dans la nouvelle configuration issue de la Constitution actuelle, la loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les Provinces prévoit en son article 56 que le Bourgmestre et le Bourgmestre – adjoint sont élus et ensuite investis par arrêté du Gouverneur de province dans les quinze jours de la proclamation des résultats. Par le fait d’un raisonnement simpliste, on serait tenté dès lors de croire qu’entant qu’autorité d’investiture, le Gouverneur de la ville serait aussi l’autorité compétente pour pourvoir à ces postes en cas de nécessité dictée par le retard pris dans l’organisation des élections locales. Malheureusement, c’est sans compter sur une autre notion “élémentaire” du droit public, celle de “disposition transitoire”. Celle-ci s’entend d’une disposition incluse dans un texte de loi, une ordonnance, un décret ou un arrêté qui règle les modalités du passage de l’ancien régime juridique au nouveau et prévoit les conditions suivant lesquelles ce dernier s’insère dans le droit existant.
Partant de là, l’article 126 de la loi organique n° 08/016 précité dispose : “En attendant l’organisation des élections urbaines, communales et locales par la Commission électorale nationale indépendante instituée par la Constitution, les autorités des différentes entités territoriales décentralisées actuellement en poste sont gérées conformément aux dispositions du Décret-loi n0082 du 02 juillet 1998 portant statut des autorités chargées de l’administration des circonscriptions territoriales.” Cette disposition transitoire que les services juridiques de l’Hotel de Ville de Kinshasa ont soit délibérément ignorée ou systématiquement violée, nous renvoie à l’article 3 dudit décret qui dispose sans équivoque que les autorités visées aux points 1 à 6 de son article 1er (au nombre desquelles on trouve les bourgmestres) sont nommées par le président de la République sur proposition du ministre des Affaires intérieures.
A moins de souffrir de cécité intellectuelle, il est donc plus qu’évident qu’en l’absence d’élections locales, c’est au Président de la république que revient le pouvoir transitoire de suppléer à la carence des bourgmestres par voie de nomination et non pas aux Gouverneurs. Si l’on considère les ordonnances signées en son temps (2008) par l’ancien Président de la république portant nomination des maires, commissaires de districts et leurs adjoints , bourgmestres et leurs adjoints , ainsi que des administrateurs de territoire et leurs assistants , à ne point douter le principe du parallélisme de forme et de compétence se trouve bien écorché. En outre, la permutation elle-même revêt un caractère illégal notoire dans la mesure où, en dehors des autorités administratives centrales qui jouissent d’une compétence territoriale générale, les autorités locales n’ont quant à elles qu’une compétence limitée. On ne peut donc concevoir qu’un bourgmestre dont l’acte de nomination circonscrit les pouvoirs dans une commune donnée puisse les exercer dans une juridiction autre que la sienne sans qu’il n’y ait là violation de la compétence “ratione loci”.
L’orthodoxie juridique reste donc la pierre angulaire sur laquelle repose l’édifice d’un État de droit, le fonctionnement des institutions et organismes publics aux Congo ne saurait déroger à la règle.
À bon entendeur…
Prof. Christian-Jr Kabange
Faculté de droit
Université de Kinshasa